
Peu de personnes peuvent s’imaginer le quotidien avec une maladie douloureuse chronique. Anita Oswald décrit comment elle gère la douleur et organise sa vie quotidienne.
Aujourd’hui est un bon jour. Le soleil brille sur fond de ciel bleu, et les 25°C sont juste parfaits. J’ai congé et je décide de faire un petit tour de vélo. Un trajet tout droit avec le vélo électrique. Je profite tranquillement de cette journée estivale. De retour à la maison, je fais une pause et mange un bout. Je prends juste quelque chose de rapide dans le frigidaire, car je n’ai pas envie de cuisiner. Le ménage m’attend. Outre le rangement habituel, les fenêtres sont à nettoyer.
J’arrive à faire tous les cadres et les joints, je laisse les vitres en attente. Et la prochaine activité pointe déjà le bout de son nez car je sors ce soir avec des amies. Je me change, me maquille, cherche les bonnes chaussures. Nous nous rencontrons dans un bar et nous installons en terrasse avec ce beau temps. Je commande une boisson alcoolisée, estivale, colorée et sucrée. Nous discutons et rions toute la soirée. Nous allons d’un lieu à l’autre, c’est finalement un bon bout de chemin à travers la ville que nous avons fait. Je rentre tard à la maison, la nuit va être courte. Quelques heures plus tard, cinq heures du matin. Je me réveille car mon côté droit brûle. Je ressens comme une coulée de lave de mon épaule à mon bras jusqu’au bout des doigts.
La lave coule sur mes côtes et jusqu’à la hanche et déborde sur le haut de ma cuisse. La lave s’infiltre dans mes muscles, elle enveloppe mes os et mes tendons. Invisible de l’extérieur, je suis la seule à sentir la brûlure et sa force. Et je suis sa proie. Elle fait partie des phénomènes de la fibromyalgie, une maladie qui m’accompagne toute ma vie. Silencieuse, je reste couchée et réfléchis à toutes les options qui se présentent à moi.
Me lever, bouger, m’étirer, respirer pour évacuer la douleur, prendre des médicaments, aller chercher l’appareil TENS, des sachets de glaçons, une couverture chauffante, faire des exercices de détente, jurer et pleurer. Je décide de me lever, de m’asseoir sur le balcon et de faire des exercices de respiration, puis d’écrire dans mon journal de bord. A la lumière du jour qui se lève, l’idée me passe par la tête que je paie tout simplement la journée passée. C’était trop.

Ma vie est bien plus que la maladie, même si les douleurs sont présentes tous les jours.
Anita Oswald
Répartir l’énergie
La solution semblerait se trouver dans le « pacing ». Le terme peut être traduit par « gestion de l’énergie » et signifie gérer attentivement ses propres réserves d’énergie. J’aime comparer cela avec un « petit paquet énergétique », je me l’imagine comme un cadeau. Joliment emballé, avec du ruban tout autour.
Dans chaque paquet se trouve une certaine quantité d’énergie. Je dispose de deux paquets par jour. J’en ai besoin d’un pour mon travail. Et l’autre pour mes activités. Si dans la même journée je fais du vélo, le ménage et que je sors le soir, c’est beaucoup. Et si entre tous ces moments je ne fais pas de pause, me nourris mal et bois de l’alcool alors mon capital énergie est largement épuisé. Certains jours, je peux me le permettre et il ne se passe rien. D’autres jours, un tel comportement est une invitation pour la fibromyalgie.
La maladie profite du manque d’attention à la gestion de l’énergie et se propage. Elle envoie des douleurs à travers mon corps. Elle brûle dans les muscles. Elle perturbe mes sensations et ma perception tactile. Dans ces cas-là, je ne peux rien tenir dans mes mains, tout m’échappe. Lorsque cela s’aggrave, mon système nerveux végétatif est tellement surchargé qu’il se débranche. Je m’évanouis pour un bref moment et dois après dormir plusieurs heures.

Les moments de pause sont un élément essentiel de mon système d’autogestion.
Anita Oswald
La douleur, un compagnon tenace et changeant
Certains symptômes de la fibromyalgie sont toujours là. Les douleurs sont présentes chaque jour à un endroit du corps. Quand elles ne dépassent pas une certaine intensité, je les considère juste comme accessoires. C’est triste à dire, mais on s’y habitue. J’ai souvent un sommeil agité et je ne me sens pas vraiment reposée le matin. Je suis très sensible à la lumière et porte mes lunettes de soleil toute l’année sans interruption. Les odeurs et les bruits deviennent aussi rapidement trop nombreux et agressifs.
Cela impacte mon quotidien. Par exemple, les cosmétiques doivent être sans odeur sinon je ne peux pas les utiliser. Dans un restaurant de montagne en hiver, les odeurs diverses de cuisine, de tenues de sport et de chien mouillé me donnent la nausée. D’autres symptômes alternent en intensité. Troubles de la digestion, vertiges et problèmes de concentration n’apparaissent que ponctuellement. Je suis donc en capacité de travailler à plein temps. Cela ne va pas de soi pour quelqu’un qui a cette maladie.
En effet, la fibromyalgie est une maladie aux mille visages. C’est ce qu’on dit aussi d’autres maladies mais pour la fibro cela se vérifie complètement. Chaque personne concernée vit les symptômes différemment. Certaines personnes trouvent les douleurs démoralisantes et d’autres trouvent une solution pour s’en accommoder. Certaines ont des répercussions cognitives plus fortes et d’autres sont particulièrement épuisées. Certaines souffrent régulièrement de maux de tête, d’autres très peu. La liste peut continuer longtemps ainsi. Le traitement ainsi que la gestion de la maladie constituent donc des défis de taille.
Trouver son propre chemin
Etant donné que les symptômes sont divers et variés, l’autogestion ressemble à un véritable patchwork. Chaque personne concernée doit trouver ce qui marche pour elle, car il n’existe pas de traitement standard. Et pourtant cela serait bien agréable avec la charge de cette maladie de pouvoir suivre un plan thérapeutique précis, ou de pouvoir s’en remettre à un·e professionnel·le qui sait exactement ce qui aidera.
Difficile de renoncer à ce souhait. Mais les choses ne s’améliorer réellement que lorsque les personnes concernées prennent les choses en main, endossent leur responsabilité personnelle et qu’elles trouvent un chemin personnel pour gérer la maladie.
Pour ma part, j’alterne activité physique douce, chaleur, exercices de pleine conscience, distraction par des loisirs et repos ; et ça fonctionne. Mon point le plus faible est l’alimentation. Je sais que je vais mieux si je ne mange pas de sucre, de viande et que je ne bois pas d’alcool. Mais j’adore le chocolat. Quand j’ai mal, je ne prends pas du paprika ou du quinoa. J’ai envie d’un gâteau et de brownies. C’est donc sur l’alimentation que je dois faire attention désormais.

Malgré la fibromyalgie, je suis en capacité de travailler à plein temps. Cela ne va pas de soi pour quelqu’un qui a cette maladie.
Anita Oswald
Tout ce qui peut aider est important
« Responsabilité personnelle » est une expression lourde de sens, pour les personnes en bonne santé aussi ; elle peut vite devenir accablante lorsqu’on a une maladie chronique. C’est beaucoup exiger que de vouloir trouver soi-même des stratégies, rester optimiste et ne pas baisser les bras. Pour pouvoir faire face aux aspects psychiques de la maladie, il est important de trouver du soutien. Un conseil psychologique, une psychothérapie ou un coaching peuvent s’avérer utile.
Certaines personnes privilégient la thérapie par la parole, d’autres préfèrent la thérapie corporelle. La médecine et la thérapie complémentaire proposent diverses alternatives. Tout ce qui aide et rend plus fort mérite considération. La méditation, les techniques de relaxation et tous les moyens de diminuer le stress sont bons à prendre s’ils apportent un soutien. Le mental joue un rôle important dans la fibromyalgie. La maladie est omniprésente et ne laisse pas de répit.
Mais je décide comment je la gère. Je décide quelle place elle prend dans ma vie. Si toutes mes pensées étaient dirigées vers la douleur, je deviendrais folle. Le désespoir mange toute l’énergie. La douleur devient alors démesurée et il est impossible d’exister en dessous.
Ma vie est bien plus que la maladie. Tellement de choses me portent et me procurent de la joie. Pleine de forces, je peux accepter la fibro comme partie intégrante de ma vie. Mais je ne m’y soumets jamais et nous vivons ensemble. Parfois, elle prend le dessus mais le plus souvent c’est moi.

Je me déplace autant que possible en vélo électrique.
Anita Oswald
Texte : Anita Oswald
Photos : Conradin Frei, màd
A propos de la personnalité
Anita Oswald a reçu le diagnostic de fibromyalgie en 2008 après une grave poussée. Elle avait déjà perçu les premiers signes de la maladie dans sa jeunesse. Anita Oswald est directrice de la Ligue contre le rhumatisme des deux Bâles et s'engage au sein du Conseil consultatif des patients de la Ligue suisse contre le rhumatisme.